La société, par défaut ou par lâcheté, prône un manichéisme simplificateur, qui évite les analyses fouillées et forge des évidences rapides. Le monde est un énorme classeur, où chacun doit absolument rentrer dans une case. « Sic transit gloria mundi »: les mêmes qui se soucient de leurs destinées à chaque instant et œuvrent une vie entière pour entrer dans « la bonne case » sociale, professionnelle, sont ceux qui chutent lourdement, piégés un jour par plus malin qu’eux, plus retors ou plus intelligent. L’intelligence peut hélas être une arme de destruction massive quand elle sert des intérêts spécieux ou égoïstes.
La hauteur de voix ne remplacera jamais la hauteur de vue, c’est vrai. Mais le monde d’aujourd’hui accorde de l’importance à la première et affiche un certain mépris pour la seconde. Un monde aux valeurs renversées !
La dictature des signaux forts :
Le règne sans partage de la force, du pouvoir, et des moyens afférents fonde une société en proie à de profonds malaises. Ceux-ci débouchent sur de la résilience ou de la résistance. Les comportements n’ont jamais été ainsi dépendants du contexte que la société impose à chacun. Il n’est pas étonnant que certains refusent cette dictature des idées, des avis sur tout, des comportements excessifs. Le libre arbitre se construit aux antipodes de ces pressions sommaires et déresponsabilisantes. Mais c’est peut-être ce que certains esprits malintentionnés veulent éviter!
Certains faits sont clairs et délivrent de façon univoque leur message. L’expression d’une satisfaction extériorisée ou d’une colère affichée ne prête pas à discussion. Parfois, les faits sont dissimulés derrière de la retenue, du non-dit ou de l’hypocrisie. Leur sens demeure enfoui et nécessite une analyse subtile du contexte, des protagonistes, des enjeux. Les signaux forts ont leur utilité dans un mode de fonctionnement binaire qui révèle sans fard leur vérité. Dès lors, que l’on se trouve dans le jeu complexe des rapports humains où le visible n’exprime pas toujours le vrai, l’approche des signaux faibles peut aider le manager à tracer un chemin médian, qui n’est pas synonyme de médiocre.
La petite musique des signaux faibles :
C’est le choix du « small is beautiful ». Le faible, le petit, le discret, le partiel, le fragmentaire ont des messages à délivrer. C’est la petite musique des interlignes, des arrières cours de notre environnement, des idées qui nous viennent à force de veille et de comparaison et que l’on accepte d’exprimer au risque de surprendre ou d’agacer. Le manager accorde de l’importance à ces signaux que l’on qualifie de faible car ils ne s’imposent pas de façon outrancière ou visible. Ils se décryptent à la lumière des effets qu’ils engendrent. Ils éclairent parfois d’une lumière tamisée certains faits et permettent un décodage subtil qui corrobore les faits ou en donne une lecture décalée. Ecouter le non-dit autant que le dit, créer les conditions propices à l’expression de toutes les idées sans censure préalable, porter crédit à l’expérimentation, coconcevoir des espaces d’expression collective où la parole est libre et le jugement péremptoire muselé. Cette posture de management séduit de plus en plus. Elle colle à l’évolution de la relation au travail choisi et propose une offre alternative intelligente aux pratiques professionnelles statufiées depuis le taylorisme. Ce vent nouveau , s’il regroupe de nombreux laudateurs, subit aussi les philippiques de détracteurs irascibles. Il s’agit encore d’un levier fragile de management. Il doit séduire de nouveaux adeptes et révéler de nouvelles pratiques approuvées par les experts. Ces signaux faibles respectent l’individu, tout en favorisant le collectif.
En bref:
Les signaux faibles peuvent intelligemment prendre le relais des signaux forts pour décoder un environnement changeant, des problématiques complexes aux enjeux multiples. Ils ne sont qu’une partie des faits, souvent cachés, non écrits, incomplets. Leur analyse permet de mieux approcher une réalité. Ils s’imposent particulièrement en période de crise. Leur détection reste à organiser dans l’entreprise et les cellules de veille, en interne ou en externe, sont une réponse possible. Le point névralgique reste leur interprétation. Le référentiel sur lequel celui qui interprète se fonde est déterminant. Étroit, il peut conduire à des errements non fondés. Large, il offre une probabilité de réalisation ou d’occurrence intéressante.
L’environnement actuel en mutation peut être valablement appréhendé par ce travail sur les signaux faibles qui, assemblés, sont un révélateur d’ambiance, un correcteur de trajectoire, un modérateur d’injonctions trop fortes.